Moi, président…. À vie

29 mai 2015

Moi, président…. À vie

Alpha Condé, président de la république de Guinée. Cc wikimedia
Alpha Condé, président de la République de Guinée. Cc wikimedia

Cette semaine, à travers un exemple précis, j’ai envie de vous faire partager mon état d’âme sur ces présidents africains, se sentant pousser des ailes de messie, qui bafouent leurs constitutions.

Hier, déjà que je lisais mon hebdomadaire politique préféré avec deux semaines de retard, l’interview de l’actuel président de la République guinéenne n’a fait qu’en rajouter à ma déception.

 Le passage incriminé de cet échange de 7 pages, retranscrit intégralement du Jeune Afrique numéro 2835 est ci-dessous.

Jeune Afrique : Le président est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Cela vous parait-il suffisant ?

Alpha Condé : La question est complexe. Les pays asiatiques ont fait des progrès économiques et sociaux considérables avec des dictatures. Aux pays africains, on demande de réaliser la même chose, mais avec des démocraties exemplaires, si possible parfaites. L’ancien premier ministre Mahatir, le père du miracle malaisien, qui est resté vingt-deux ans au pouvoir, ne m’a pas caché qu’il était hostile aux limitations de mandats : s’il avait dû partir au bout de dix ans, m’a-t-il dit, son pays ne serait jamais parvenu à de tels résultats. Mais son raisonnement ne tient que si l’on a affaire à un bon président. Conclusion : le débat est ouvert.

Pour le locataire de Sékhoutouréyah, la question parait COMPLEXE!

Pourtant la réponse qu’on attendait, loin d’être celle aberrante qu’il a donnée, était fort simple. Étant soumis à une phrase interrogative directe « totale »  – on a tous réussi nos cours de français à l’école primaire -, Alpha Condé aurait juste dû répondre par oui ou non. Il s’est cependant embarqué dans une réponse alambiquée qui selon moi, devrait faire du souci aux millions de Guinéens croyant encore aux vertus démocratiques de notre camarade président.

Tout d’abord monsieur le dirigeant de la République guinéenne, sachez que le débat n’est pas ouvert. Selon la Constitution de notre pays, vous n’êtes élu que pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. Vous avez prêté serment sur cette Constitution et avez promis de ne pas la violer – ne rappelons pas ici que vous vous en êtes déjà illégalement écarté de nombreuses fois depuis ces 5 dernières années. Mais là n’est pas l’objet de cet article. Vous ne pouvez donc, dans un jour futur, changer la constitution si cela vous chante de vous représenter, car vous êtes un « bon » président.

Votre bilan à la tête de l’État guinéen est pour l’instant médiocre et une constitution ne peut être changée que selon un consensus au sein d’une société et non pour le profit d’un seul homme.

Cependant, rien ne vous empêche – si évidemment vous faites un deuxième mandat – de former une relève au sein de votre parti qui reprendra votre flambeau. Si vos résultats sont convaincants à la fin des deux mandats que les lois de notre pays vous permettent de faire, je suis sûre que les Guinéens feront sans doute confiance à votre successeur qui véhiculera vos idées et celle de votre parti. Vous n’avez pas besoin de rester une éternité à la tête du pays pour que votre vision de l’avenir de notre pays soit accomplie.

Ensuite, la comparaison au régime malaisien est un autre endroit où le bât blesse dans cette réponse. En effet, la Malaisie a toujours été un régime parlementaire où le chef du gouvernement est un premier ministre élu au courant de législatives. La République présidentielle guinéenne ne peut se comparer à la monarchie parlementaire malaisienne. La constitution de ce pays ne limite pas le nombre de mandats qu’un député – élu premier ministre – peut faire à la tête du pays (Mahatir est arrivé au pouvoir dans ce contexte et n’a donc jamais changé la constitution de son pays à son profit).

De nombreuse autres nations fonctionnent de cette manière (Grande-Bretagne, Canada, etc.). Ce type de pouvoir a ses avantages et ses inconvénients (dont celui de perdre le pouvoir quelques mois après l’avoir pris). Ces pays, en général, sont très démocratiques. Dans ce genre de conditions, la limitation des mandats n’est pas un problème absolu. Rares sont les premiers ministres qui restent plus d’une décennie, car le peuple a souvent rapidement soif de changement.

Le problème des régimes présidentiels du tiers monde (et en particulier ceux africains) c’est qu’ils n’ont de démocratique que le nom. La limitation des mandats est souvent le seul moyen de faire partir un dirigeant. Lui permettre de se représenter à vie c’est d’une manière lui assurer le pouvoir éternel.

Finalement, à la fin de l’interview,  Alpha  Condé se soumet à un petit questionnaire intime. Parmi les questions auxquelles il a répondu, il y a  la suivante :

J.A : Votre personnage favori?

A.C :  Mandela.

Suis-je le seul à y voir une autre belle contradiction? Rappelons au camarade Alpha que Nelson Mandela, ce grand et sage homme, n’est resté qu’un mandat à la tête de son pays. Pourtant, sa popularité et ses accomplissements auraient pu lui permettre de briguer un second mandat et même plus si nécessaire.

Vu ses résultats assez médiocres à la tête de l’État guinéen, Alpha Condé devrait plutôt penser à améliorer le sort de ses concitoyens qu’à la possibilité de se faire réélire pour un hypothétique 3e mandat.

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